vendredi 16 novembre 2012

Duet Tacet II



« Dès que nous avons vraiment quelque chose à nous dire, nous sommes obligés de nous taire. »
Le silence des humbles – Maurice Maeterlinck


Octobre naît d’une pluie froide, d’une tasse de thé noir qui me tient éveillée ; d’un air de jazz qui se dissipe dans ma tête, et de ton silence que je n’ai qu’à meubler en attendant le reste.

Je noircis un tout petit cahier, dans un café désert près de chez toi. Des pages bigarrées qui se froissent dans le fond de mon sac, les pistes que tu me refuserais peut-être même pas si j’osais te les demander ; celles que tu ne comprends peut-être même plus, à force de me les cacher. Au lieu de quoi, je les invente, je les griffonne. L’orgueil des dents crispées en un sourire comblé. L’automne, l’odeur des feuilles, le froid sur mes joues. Les feuilles mortes qui s’amoncèlent sous mes pas ; les souvenirs et les regrets aussi, comme dans cette chanson de Prévert, et les ressacs odorants de la terre froide qui me font revivre l’été à rebours.

L’appartement surpeuplé, les jeux de paumes jusqu’à la victoire, un peu d’affection réaffirmée dans le secret d’un entre-toit. La naissance de quelque chose.

Juillet avait été beaucoup trop chaud, et pourtant, c’est dans ses matins les plus brûlants que nous nous aimions. Avec les cheveux qui me collaient à la nuque et la sueur dans ton dos, jusqu’à la surface rugueuse de tes tempes ; le lit en champ de bataille, là où gisaient les reliefs de nos vertiges, un peu épars. Des vapeurs de lendemain de veille, et le soleil sur ton toit qui assourdissait le temps, qui engourdissait nos sens. Des jeux de mains en silence, chacun de mes doigts lentement enlacés aux tiens.

Notre histoire est celle du malheur : celui qui m’a rivée à toi par mesure d’y échapper ; celui qui t’a fait peur dans mes gestes, qui t’a dérobé à la répétition d’histoires trop connues ; celui qui reste en suspens, quand le désir se frustre et le silence demeure.

Juillet était trop chaud, mais la bière fraîche contre le palais. Je meuble ces semaines d’automne à me remémorer celles que l’on a bues, la blanche froide du Sacrilège, quelques Kilkenny dans un parc, une stout bien tassée dans Saint-Roch. L’alcool comme prélude et essence à nos rencontres, parce que la timidité nous oppressait et qu’il est plus légitime de se dévoiler lorsque l’on risque de s’oublier au lendemain.

Et je parlais. À jeun ou ivre, je parlais. Tout le temps, je te racontais n’importe quoi, ce qui me passait par la tête, ce que j’avais envie de te partager, des choses qui ne se disent pas, parce que je me vautrais dans ton écoute et dans le creux de ton bras, là où je percevais le lointain écho de ton cœur qui battait. Qui battait, une percussion parfois irrégulière, comme improvisée, ta vie pour un instant enfouie en moi, comme les soirs chauds d’été que l’on voudrait croire éternels et qui finissent par mourir à l’aube, dans une soudaine percée de soleil.

Juillet écoulait ses jours, suintant d’humidité sur les corniches de ton toit où nous étions grimpés une nuit. En silence, la fumée entre les non-dits, la musique de Django Reinhardt dans ma tête en sourdine, la ville qui se couchait sous son ciel vert. J’ai en mémoire les inscriptions écaillées sur ton t-shirt, les lacets défaits entre tes chaussures et l’odeur âcre de l’herbe se consumant entre nos doigts. Ta main que je n’osais prendre, la distance de tes cils, nos respirations hachurées, en syncope. Octobre s’échoit sur mes épaules en pluie froide, et je ressens encore la lourdeur de juillet sous la caresse de ton regard, image rivée à ces jours d’ennui que je traîne derrière ton silence.

Les mots te font peur, et ils me sont le bouclier que je brandis contre les assauts du vent. Tu crains la parole qui blesse plus qu’elle n’apaise, et je m’en sers pour te rejoindre, pour te rattraper au détour d’une soirée. Ton silence au coin de la table, les phrases que je vomis trop fort pour un coup d’œil. Qui ne vient jamais, ton regard fixé au loin, ou sur tes mains fermées, comme toi.

Et je gribouille dans l’attente. Petit lexique des mots incompris. Petit cahier que je noircis de pensées passées, petit cahier dans lequel naissent tous ces mots qui nous ont manqué.

Juillet était trop chaud, et juin le précédait, un juin de froideur et d’indifférence. L’été timide, ta maladresse houblonnée, les rires cueillis au bout de tes blagues, et tout ce qu’il fallait boire pour que tu oses ainsi poser ta main sur la mienne. Les regards captés, complices, les œillades étonnées des amis. La musique trop forte, parfois, et il fallait se pencher dans le flou du moment pour se comprendre ; se surprendre, peut-être, de la précipitation des choses – enfin, je l’étais, cette complicité anecdotique qui a rapidement perdu pied, un chavirement brusque en zone sinistrée, un baume sur mes nuits fanées.

Ces pichets de Scotch Ale, aussi, dont on s’était, l’un des premiers soirs, enivrés, parce que les billets sortaient de tes poches comme de l’eau, et que la bière recollait un peu les miettes de mon été sans but. Le goût sucré et âcre jusqu’aux remords, jusqu’à l’analgésie complète des démons contre un matelas de sol un peu gras. Les caisses de six, les mélanges maison, la lourdeur sirupeuse des Jägerbomb, les soirs d’ivresse mis bout à bout au creux de ma tête, la poussière soufflée sur nos langues. L’ennui tassé, quelques semaines baroques jusqu’au bout de la nuit. Les premières grandes chaleurs dans mon dos, en cuillère. L’engourdissement jusqu’au trop-plein, jusqu’à l’étouffement, les sentiments alambiqués. Le début de la fin.

Les idylles défilent en clichés anciens, épars et anachroniques, dans mon petit cahier de moleskine.

Tes adieux expirés, les explications incertaines. Mon incompréhension étonnée. L’amour colmaté, une toute dernière fois, dans la moiteur excessive des draps en désordre. Ton profil étranger, un rictus en virgule, la bouche tordue par les remords.

Je n’ai pas taché mes joues, le collagène et le khôl ont scotché l’orgueil jusqu’à mon sourire de convenances. Je n’ai pas pleuré, parce que ton désarroi pèse beaucoup plus lourd sur tes épaules que ma confusion fardée. Je ne t’ai pas envoyé tout ce que je t’ai écrit, je n’ai rien terminé de ce que je t’ai dédié, je me contente des choses laissées en suspens qui ne retombent jamais. Comme la pluie lourde d’octobre.

Juillet était trop chaud, mais toujours préférable à cet août de pacotille et au prélude de ton mutisme. À ta froideur déroutante à trente-cinq degrés. Au gel de nos sensations, sur une table quelque part, entre deux pichets. À mon pas titubant jusqu’à mon appartement vide. Aux trois heures du matin qui sentent la pluie, la solitude et le sel. À l’engourdissement confortable, à Pink Floyd en boucle. Au vin rouge et à l’ennui ressassé. À tout ce qu’on a jamais su se faire comprendre, rivés dans notre orgueil et nos propres pensées en carrousel.

Au fond, j’ai peut-être un peu peur des mots moi aussi, ceux qui portent en eux la vérité, ceux qui me dévoileraient que je t’indiffère jusqu’à ne plus te rappeler pourquoi tu te tais encore. Ils me font peut-être autant peur qu’à toi, et j’en use pour oublier que cette parole nue m’effraie. Je la confronte avec insolence, arrachant les mots de mes dents, un à un, leur signification éprouvée dans ma vulnérabilité affamée. Trop de mots, et ton visage détourné vers la ville. Octobre tombe, les migraines et l’insomnie s’égrainent dans le petit cahier trimballé partout. Le duo finit de jouer, le bar se vide, ma vie s’étale sur le pavé, jusqu’à chez-toi où j’ai eu la malchance de ne rien oublier, si ce n’est qu’un peu de ma dignité entre ton matelas et la poussière du parquet. Octobre s’étire, je n’arrive plus à reprendre mon souffle entre deux œillades hasardeuses, et les mots ne servent peut-être au fond plus à rien, sauf à t’enterrer dans ton silence de roi. Un silence où tu te réappropries les miettes, où tu recentres l’éclatement en un nœud au creux de ta gorge ; et mes mots qui s’y butent, ceux par lesquels je me dépossède en toi, mais où tu me prends encore, sans le savoir. Une autre œillade au fond de la salle.

Octobre s’abat sur la ville, une lourde pluie froide qui justifie toute la torpeur de juillet, et soudainement, je comprends. Le décalage, les rendez-vous manqués, les mots qui sont restés en suspens dans ton entre-toit ; ta colère, ton silence, ton enfermement dans la certitude que je t’ai arraché un morceau de cœur pour panser mes angoisses ; mon orgueil, ma maladresse, l’incapacité qu’ont eu les mots à traduire l’ampleur d’un deuil, d’un infime espoir, de la naissance d’un sentiment d’emblée spolié. Nos cœurs qui ont vibré par temps, par à-coups, nos cœurs qui n’ont jamais su comprendre la mutualité de leurs désirs derrière la façade brute des corps.

Comme deux musiciens qui auraient joué la mauvaise partition, sans s’écouter. Comme un duo tacite, silencieux, transi par la peur de se mouiller d’une fausse note. Comme deux instrumentistes qui refuseraient de s’accorder, par peur d’abîmer leur rutilance.

J’ai beau le comprendre, mais mon petit cahier me dicte qu’il est trop tard, et tu ne m’écoutes désormais même plus. Ton toit est vide, ton esprit ailleurs, et novembre oublie dans la fange tout ce que juillet aurait pu semer sur le bout de nos lèvres.

Une autre histoire tuée par cette tendre indifférence du monde.

lundi 10 septembre 2012

Duet Tacet


J’ai oublié de prendre le pouls au nom de l’orgueil
Bu le café froid en le croyant chaud sous ma langue
Rongé mes remords jusqu’à demain
       la conscience endormie sur les tables du bar.

Un temps de gouttières, l’orgueil scotché aux joues
Des ballons pour crever la solitude, pour oublier les pas jusqu’au lit vide.
L’ivresse cuvée, la fumée par les narines, le silence
       et ton nom caché en dessous.

J’ai oublié le miroir, gardé que ce drôle de reflet ;
Perdu le Nord pour conserver la face
Effiloché ma chair avec l’amertume en sourdine
       les mots ravalés dans la mousse des pichets.

L’emprise du doute.
Se perdre en chemin.
Pour chasser le malheur il faut être deux, disaient-ils
       mais tu te butes à chacune de tes respirations.

Le temps s’est enfoui sous les draps
Le vent s’est levé jusqu’au bout de mes cils
L’orgueil me prend la main pour sourire, encore
       la vérité échouée avec les débris de septembre.

Les jours lacent encore nos ivresses tacites
       nos désespoirs mis côte à côte
Et nous rejouerons le silence entre deux verres,
Duet Tacet pour des doigts qui ont oublié les accords
       parce que les mots bloquent dans nos têtes et ne veulent plus rien dire.

mardi 7 août 2012

Trop occupée à détester un ex lâche pour ressentir la moindre tristesse sur une relation d'affection saine qui se termine.


mercredi 18 juillet 2012

Lettre à un fantôme

Aujourd'hui, je regarde les quelques photos éparses de ta nouvelle vie, et je me dis que j'aime l'été ; que j'aime l'été pas mal plus que je peux t'aimer maintenant, avec cet arrière-goût de haine et cette amertume que je ravale lentement. 

J'aime l'été, parce qu'il est différent de tous ceux d'avant, avec des pichets de bière partagés à chaque semaine jusqu'à pas d'heure, des nuits blanches par terre sur un matelas avec un gars que j'connais presque pas, des idées lancées en l'air qui prennent peu à peu forme et ce sentiment de légèreté, de supériorité, d'avoir passé par-dessus tes mots, tes tourments, ton silence. 

Je regarde ta vie rangée de guide-touristique, tes nouveaux amis ringards, ton grand sourire fendant, et je préfère de loin cette douce ivresse partagée en Basse-ville, cette désinvolture charmante, cette liberté sans cesse renouvelée par la certitude de, bientôt, ne plus du tout t'aimer. Je compare nos étés, tes 5 à 7 bâtards dans le respect, mes beuveries sympathiques dans la douce folie du moment, et je n'ai absolument plus envie que tu reviennes dans ma vie, où tu n'as d'ailleurs plus ta place. 

Nos chemins n'ont plus raison de se croiser, nos pas n'ont plus rien en commun. 

Tu ne ferais que fracasser mon bonheur fragile, en replongeant tout ce que tu ne sais pas régler dans mes pensées ; tu ne saurais que froisser mes jours de confiance avec tes yeux trop bleus, trop tristes, et les souvenirs que je ne veux plus jamais revivre. Tu rendrais sérieux ce qui ne doit pas l'être, tu arracherais les points de suture pour rouvrir la blessure que tu as envenimée d'aigreur et de poussière. 

Je ne veux plus rien savoir de toi. 

Alors j'espère sincèrement que tu vis le plus parfait bonheur à faire visiter des forteresses aux touristes, à discuter tes idées caduques dans ces amitiés de surface, à gâcher cette intelligence que je t'admirais à l'idée de te taper un certificat médiocre en septembre, parce que je ne veux plus que tu surgisses dans ma vie. Pas toi, ni ta voix, ni ton ombre, ni même ce numéro de téléphone que j'ai tant guetté sur l'afficheur de mon cellulaire. J'ai retrouvé l'équilibre sur mon fil de funambule, j'ai reconstruit une bulle de bonheur toute simple qui s'épanouit mieux sans toi.

Adieu. Notre histoire se termine ce soir, sans ambiguïté, dans le plus long des silences, dans ta plus grosse preuve de lâcheté. 

« Dès que nous avons vraiment quelque chose à nous dire, nous sommes obligés de nous taire. » - Maurice Maeterlinck

mercredi 11 juillet 2012

« We are accidents waiting to happen » Radiohead

Ce n’est pas vraiment que tu me plaises – dire le contraire serait mentir ; mais tu es arrivé au bon moment, quand les mots de l’autre me faisaient défaut et que je n’avais plus que la bière blanche en fût pour oublier son silence. Silence froissé de p’tit gars qui n’a jamais su jauger le conflit, qui a toujours fui les conversations, les confrontations. Silence gris métallique et bleu Facebook qui perçait chacun de mes jours d’une douleur que même l’espoir n’arrivait pas à calmer. Silence outré et sourire de verre qui ont fini par avoir raison de mes sentiments pour lui. 

Ce n’est pas vraiment que tu me plaises dans l’absolu – ce sont toutes ces soirées d’ivresse, ces circonstances de rencontres inopinées et tes attentions à mon égard quand le monde autour de moi s’est écroulé qui me ramènent toujours vers toi. Ce sont tes quatre guitares, ton piano dans un coin et tes goûts musicaux particuliers qui me renvoient à cet homme que j’avais tellement aimé par le passé, vainement et par la bande. C’est ta formation musicale et un peu de nos rires, oui, quand même, qui t’ouvrent mes cuisses quand je voudrais tellement revenir en arrière. Mais je fixe tes quatre guitares, ton piano et tes feuilles de partitions, et j’éprouve un certain plaisir à sentir ton souffle ahaner contre moi, à crouler sous la lourdeur de ton extase, à laisser tes doigts de guitariste s’aventurer où tu le veux bien. 

Ce n’est pas que tu me plaises, mais pour ce que ça vaut, je finis par m’en balancer et attendre d’autres signes de ta part ; parce que c’est peut-être ainsi que les choses fonctionnent chez les gens normaux, chez ces imbéciles heureux qui restent des heures à fondre sous un soleil de plomb pour quelques mélanomes sur leur chair trop brune : le timing, et des intérêts communs déterrés, voire cultivés, dans le feu des conversations. Certes, on discute, parfois des heures ; des échanges longs et variés qui se brouillent dans l’alcool, qui meurent dans un bar crade et que j’oublie au lendemain, entre deux verres d’eau et un Tylenol. Ou qui deviennent une huile dorée, épaisse, que l’on jette sur un feu de paille consommé qu’à demi lorsque nos corps se retrouvent projetés sur ton matelas en désordre, souillé de sueur, de sperme et de sel. 

Et au matin, j’oublie tout, je ne te connais pas, pas plus qu’hier, parce que tout est flou et noyé dans la bière. Si toute relation se bâtit sur la construction de souvenirs communs, comment pourrons-nous nous apprivoiser si l’alcool est la justification même de nos rendez-vous ? Tu es chaque fois une carte blanche, un peu noircie tout de même, que je grise par la consommation de quelques verres de trop ; à refaire, chaque deux semaines, quand on se revoie et qu’on n’a rien retenu de l’autre, sauf quelques traces de peau sur nos chairs blasées. 

Ce n’est pas que tu me plaises en fait, mais l’attention que tu me donnes me rappelle qu’un peu de bonheur existe encore à proximité, l’affection que nos nudités blotties me procurent quand tu caresses mes cheveux, mes joues le matin réchauffe mon sourire, et j’oublie que je suis encore malheureuse pour ce grand vieux garçon qui m’a brisée au tout début de l’été. Et même si l’on s’entend pour que nos rapports demeurent dans la stricte sphère de l’amusement, j’espère secrètement que tu ne cesses jamais de m’observer, de me sourire et d’avoir l’air, au matin, un peu amoureux de moi, parce que j’aurai peut-être un jour un peu d’énergie pour que tu finisses par me plaire pour ce que tu es réellement. 

samedi 30 juin 2012

Erreurs estivales

Il y a de quoi qui me colle à la peau. Une poix qui dissémine ma décence à travers toutes les gaffes possibles et impossibles. La vanité cultivée par l'ennui, par la possibilité de passer à autre chose avec des rires gras de fin de soirée. Complicité éthylique et convergences d'intérêts pour mieux me décevoir, le matin.

L'alcool qui fait frémir la chair, le coeur en morceaux. Et ce matin trop chaud qui se fracasse en rayons éclatants, brûlants, comme nous. La sueur qui ruisselle, l'ardeur qui me rattrape au détour de caresses trop lentes, l'amour pressé et insatisfaisant.

L'incongruité d'un autre épiderme alors que j'ai encore la peau de l'autre sous les ongles, l'odeur de l'autre dans mes cheveux. Mais une fierté vengeresse à m'imaginer la première à franchir les limites d'un « autre partenaire. »

Et le malaise au salon. La fuite, deux baisers pour seule réaction devant la confusion de mes désirs. Le silence qui s'ensuit, la honte qui nous colle aux semelles, l'insatisfaction des choses précipitées. L'amer arrière-goût d'avoir tout cassé, encore.

J'émerge d'un écueil en tombant dans un autre. Porte de sortie qui m'enfonce davantage dans les entrelacs du deuil amoureux.

Rien ne change, les jours d'été me tuent un peu plus chaque jour.

Et tu ne reviendras pas. Seule certitude qui se profile au loin, dans le ronron interminable du temps. 

mardi 5 juin 2012

Bon pour sketa

« Mais ce n'est pas de ma faute, je fais de mon mieux, le plus mal possible. » - Réjean Ducharme

J’ai décidé de relire Dévadé. C’est pas la meilleure option, j’en conviens, les phrases qui défilent me ramènent avant, à nous, à toi, à toi qui ne veux plus me parler. Ce n’est pas que ma vie soit vide, je la remplis de bières froides et de rires chaleureux, je la gave de distractions jusqu’à ce que je n’en puisse plus, jusqu’à ce que le foie déborde et que le porte-monnaie s’effeuille. Mais je fais le peu que je peux pour subsister, mais quand le peu, c’est le pire, seize semaines estivales ne sont pas assez pour t’oublier.

Et à travers toute cette frénésie que je m’impose, faute de mieux, tu ressors de temps en temps. Tu ne dis rien, tu laisses le petit cercle vert à ta droite parler en ton nom. Se taire en ton nom, aussi longtemps que le durent tes envies de potinage silencieux, de butinage prétentieux. Tu as mes mots sur le cœur, mes larmes en haut-le-cœur, et mes supplications t’écœurent, mais tu manques de ventre pour me balancer ta haine en plein visage. Tu préfères fuir la réalité, t’enfouir le nez dans de nouvelles amitiés comme pour me crier que toi aussi, tu es apprécié, que toi aussi, on ne te laisse pas tomber ; comme si tu n’étais pas le seul qui avait voulu te laisser tomber.

Alors je vais mon chemin, pansant mes blessures financières de nouveaux contrats, renouant les vieilles amitiés avec toute l’énergie du monde. Et je relis Dévadé, parce que tu revis un peu à travers les caractères, parce que j’y glane des phrases que je pourrais t’envoyer pour traduire tous les regrets qui grugent les commissures de mon rire. Je relis Dévadé parce que c’est un peu comme boire à la lie de mes erreurs, pour mieux m’en imprégner, pour mieux me détester, et te rejoindre à quelque part dans ce dégoût de moi.

Je t’ai fait mal, sûrement. Tu te répètes ma décharge hargneuse et grise, tu t’enfonces mon ivresse comme un clou sur une clôture encore vierge. Tu ressasses mes imbécillités, mes immensités ; tu focuses sur les taches qui maculent mon portrait, un arrêt sur image sur mes imperfections de p’tite bourgeoise pourrie par les hommes trop murs et tes cils trop grands. Tu me détestes, et ça te fait de la peine, et tes larmes te prennent à la gorge, intensifient cette colère qui te vrille le bas-ventre, et tu me détestes d’avantage…

J’extrapole, peut-être. Mais j’ai ton silence à meubler, ton indifférence à m’expliquer, ma peine à écouler sans trop abîmer le mascara qui s’empâte sur mes cils. Le temps à tricoter dans une chambre à coucher en décombres, avec ton rire au fond de mes oreilles et la poussière sartrienne qui retombe.

Tu vois ce que je veux dire. Mais quand c'est tout ce qu'on a, mal, c'est tout ce qu'on peut faire, je suppose.

jeudi 17 mai 2012

Sur une facture

Tu n’as rien à cacher, juste le petit fragment d’un été sur la commissure de tes lèvres.

Rien à ajouter, si ce n’est que l’affreux poids du départ et des miettes d’amour éparpillées par le vent d’est qui souffle de temps en temps sur la vieille ville. Une heure à enterrer sous la glace. Des pas qui résonnent encore.

Je n’ai pas plus de choses à te dire, mes mots arrachent ma contenance et tirent tous les fils de ta peau. Des meurtrissures de lendemain de veille, des ecchymoses oubliées dans un fossé, l’amertume des jours enfouis sous la pierre.

J’ai la peau qui frissonne, l’enfer au bout des doigts, toute l’envie du monde de te sentir contre mes reins. J’ai des mots que je vomis sur un bout de facture, des reliefs de toi au creux de mon ventre, des restants d’amour ébréché qui ont brûlé nos langues dans un dernier sursaut. Et toujours, ce bras sinueux contre la dorure de mon ventre, ce bras sinueux qui glissait jusqu’à ma main et qui disparaît immanquablement au réveil.

Tu es parti. Tu ne devrais pas revenir. Tes yeux se moquent de ce que tu m’as dit, mais ton orgueil s’y crochète. Et maintenant, j’ai le soleil contre mon dos et des jours à l’infini que je meuble d’espoir jusqu’au soir suivant, jusqu’à la solitude dans un lit trop grand. L’enfer, c’est les autres, ces autres qui ne sont pas toi, qui sont tellement mieux que toi et tes airs de gamin, mais avec qui je n’ai rien construit. À quoi bon construire sur l’absence d’histoire, sur l’absence de miroir ?

Alors je reste, avec des litres de bière forte et toujours ces mêmes miettes d’enfer sous les ongles. L’alcool a ses effets, mais très lentement, et ne réussit jamais à surpasser les tiens.

Après tout, je n’ai plus rien à te cacher. Seulement les quelques mots de l’ultime désespoir que l’on grave sur la neige, et quatre notes sifflotées dans un corridor. Un peu de soie effleurée entre les deux actes d’un soir de concert, cette prison des doigts que je contemplais derrière ma jeunesse voilée.

Je n’ai jamais eu le temps de te raconter tout cela, n’est-ce pas ? Tu t’es envolé avec le printemps et l’éveil de nos anciens clichés en sépia. Le ressac de nos vies qui devient raz-de-marée, qui étouffe toute éclosion de vie amoureuse.

Mais je n’ai rien à te montrer maintenant, deux paumes offertes au vent et une beauté caduque que j’ai construite pour toi, parce que j’ai des jours à meubler et de vastes plages blanches jusqu’à la fin des temps.

Tu n’as rien à blâmer si ce n’est que la peur de l’intimité et mon trop grand appétit du (de ton) monde. Rien à te reprocher, seulement ce silence gris calqué sur les aléas de l’ennui. Rien à regretter, qu’un corps chaud à enlacer et un sourire qui t’était réservé.

Et comme l’on se rejoue sans cesse les mêmes histoires jusqu’à quotidiennement suicider nos souvenirs, tu auras peut-être un peu mal pour cette fille paumée qui t’écris dans un café, au verso d’une vieille facture. Alors, tu te rappelleras les cafés, le ciné, les arrêts d’autobus où nos baisers rataient le temps ; tu réaliseras que l’on s’est aimés et s'est déchirés bien plus que l’on a bien voulu se faire croire.

Et, enfin, tu cacheras aux autres ce petit morceau de printemps à la pointe de tes cils, cristallisé en une gouttelette d’images de nous, réfractées par le temps.

samedi 21 avril 2012

Fille d'avril

Aujourd'hui, il a neigé. De gros flocons mous et fondants qui s'écrasent sur le béton humide. Un sanglot qui me tiraille le creux d'la gorge.

Il y a une semaine, il faisait beau, une belle soirée de printemps où la terrasse de notre micro-brasserie préférée était bondée. Nous nous étions serrés, en silence, buvant la chaleur de la nuit et la ville en émoi.

Puis je t'ai dit des choses en trop, de celles qu'on garde pour soi lorsque l'être aimé nous déçoit un peu. Une bière qui déliait ma langue, qui déliait les fils qui te retenaient à moi. 

Tu m'as demandé du temps. Je ne sais pas comment te le donner, les secondes m'échappent dans tes mots ; mais le choix n'est plus le mien. Des supplications en filigrane, tout l'amour du monde pour que tu ne lâches pas ma main, mes yeux. Une rue de banlieue noyée par les larmes du refus. Avril et sa grisaille qui se déploie.

« On s'en reparle. » L'hiver qui revient, qui m'engouffre. 

Aujourd'hui, il a fait froid et Patrick Watson accompagne ma dérision. Une note à la fois, laisser l'espoir s'estomper et mon téléphone se taire. 

Une note à la fois, me convaincre que la réflexion est peut-être un reflet de la fin ultime ; et ton silence, le moyen d'y parvenir. 

samedi 25 février 2012

Saint-Roch

« Je ne suis pas revenu pour revenir, je suis arrivé à ce qui commence. »
L'Homme Rapaillé - Gaston Miron

La neige tombe. Ta peur aussi.
Tu ressens le bruit de chaque flocon que tes talons hauts écrasent
Tu caches tes cils sous un masque fardé de noir
Tu étires le temps qui passe, le téléphone qui se meurt au bout de son silence ;
Et, sans savoir qui ou quoi, tu attends au coin d’une rue
Entre Dorchester et Saint-Joseph.

Tu es entrée dans une boutique.
Ton sourire timide, tes mains tremblent entre les étoffes
Ton envie craque sous la légèreté de ton porte-monnaie
Tu essaies une robe, elle tire de tes yeux toute ta beauté
Mais tu ne te permets qu’une écharpe en soie rouge
Une tache sanguinaire dans la foule de février
Entre Dorchester et Saint-Joseph.

Tu es sortie, pressant la soie sur ton cou mat.
La vendeuse t’a suivie du regard, te fixe encore à travers la vitrine.
Son beau visage de marbre, trop jeune pour toute sa gravité,
Te toise comme si elle te connaissait, comme si elle t’en voulait ;
Mais as-tu toi-même un autre air, avec tes angoisses chroniques,
Tes yeux troublés et ton visage émacié sous cette dernière neige de février ?

La neige tombe. Ta peur revient.
Le temps roule ses heures avec toute la lenteur du silence.

Et il ne te reste plus que ce téléphone mourant au creux de ta poche,
Dormant entre tes clés et un billet griffonné à la hâte :
« Paraît que la terre tourne. Sais-tu, j'ai jamais remarqué ! »
Des initiales, des pattes de mouche en guise d’embrassades
Des gouttes de neige qui brouillent les X rapidement tracés.
Tu souris, retires le bonnet sur tes cheveux pour les secouer
Et colles ta bouche contre les lèvres chaudes de cet homme de février
Qui t'attend là, debout devant un café,
À quelque part entre Dorchester et Saint-Joseph.

lundi 13 février 2012

Soleil de février

Blog à l'abandon parce que, pour une fois, ma vie va plutôt bien. 

J'arpente les rues de Québec et de ses banlieues avec un grand maigrichon aux mains froides qui me fait rire, qui est à la fois si loin de mes anciennes aspirations et parfois tout près. Je délaisse mes études pour passer mes nuits dans un lit trop petit, éclairage diffus et lèvres contre épaules, et ça me rend bêtement heureuse. 

Un petit « je t'aime » au creux de l'oreille à moitié entendu, dont je ne suis pas certaine de savoir s'il provient de mon imagination ou non ; un petit « je t'aime », peut-être d'anniversaire, que je garde au creux de mes mains sans savoir s'il va se fracasser dans les jours qui suivent. 

Quelques angoisses qui traînent, mais en somme, pas mal de bonheur. 
Au fond, j'y ai un peu droit, aussi.