mardi 21 septembre 2010

Je m'en mords les mains.

Je repense à hier, image figée près d'un cadre de porte. Statique parmi le mouvement perpétuel et foisonnant des alentours.

Je me rappelle du jaune, et de ton rire. Notre rire partagé, tes yeux qui brillent et les franges de mon écharpe qui volent autour de mon cou. Tes yeux et leurs morceaux de lumière pure comme le jaune de mon écharpe, et le monde qui s'arrête, qui disparaît autour de nous. Le monde entier, excepté le jaune et notre rire au regard qui ne dessoude pas, qui ne se termine pas.

Tu peux parler et t'inquiéter de tes allures, de tes désinvolutres ; tu peux regarder les autres, rire avec eux et m'ignorer quand tu racontes tes anecdotes. Apocopes de rires, de souvenirs, de vie tronquée, et ton clin-d'oeil subtil à mon passé par les toiles de Claude Tousignant qui tournent, multicolores, qui tournent et tourbillonnent et qui donnent mal au coeur, qui me lèvent le coeur. Coeur qui se dresse, qui crie puis qui se fracasse contre cette toile, cette toile pour et par laquelle tu as pensé à moi, pour et par laquelle tu as cherché l'éclat affilé de mes yeux brillants de connivence. Union de nos souvenirs communs. Capter la complicité ; souvenir partagé sans même se regarder.

On se connaît, et pourtant, on est comme étrangers l'un à l'autre. Cohorte d'inconnus ataviques, ataraxiques qui ne voient en nous que deux étrangers, deux connaissances lointaines qui s'ignorent ou ne partagent qu'une idée commune de l'art abstrait de Mondrian, qui s'ignoreront sinon pour ainsi dire toujours.

« Il y a eu une exposition de Tousignant au Musée d'Art Contemporain de Montréal il y a, quoi, deux ans...? »

Regard décoché rapidement, et moi qui hoche la tête légèrement. Un an et demi, en fait, mon cher ; mais je me tais.

Je ne sais pas si les autres ont vu. S'ils ont compris.

Je te hais, parfois, et j'aimerais que tu le saches. Réaction intuitive, impulsive de protection. Parce que j'suis vulnérable et faible devant tout ça. Prise au dépourvu, troublée. Clin d'oeil subtil à un moment partagé dont il se souvient très bien, et moi aussi. Toiles de Tousignant qui goûtent encore le thé vert et les vermicelles de riz.

Je te hais, mais au fond, ce n'est qu'un résidu de rage contre moi même qui se répercute sur toi. Parce que je sais que je me brise beaucoup plus que je me fais du bien, et je t'en veux. Je t'en veux d'être gentil et réceptif ; de permettre au courant de passer entre nous. Parce que, si tu étais froid et distant, je n'en serais pas là. Je n'en serais plus là.

Mais nos regards, bruns lumineux et jaunes de soie, démentent ma raison et mes excès réalistes sous ma couette, quand je fais de l'insomnie douloureuse. Le courant qui passe, courant d'air qui nous porte et projette hors du monde, me retient à toi, me draine à toi.

On rit, et nos yeux se fixent, s'ancrent les uns dans les autres ; le regard demeure tangible et s'éternise dans quelques secondes. Rire de yeux et corps tournés l'un vers l'autre. Atmosphère qui s'estompe autour de nous, et nos yeux qui demeurent notre seul point de mire.

Brun brillant et jaune de soie.

samedi 18 septembre 2010

Vermicelles de riz et thé vert

Je voudrais retourner dans ce petit restaurant chinois, perdu à Montréal tout près du Monument National où nous étions allés voir un opéra de Mozart. Voir les chaises dépareillées, les tables rectangulaires en stuc blanc, comme dans une cafétéria d'école ; manger le même repas dont j'ai oublié la saveur, repas qui était d'ailleurs succulent et que nous avions partagé comme nous partageons nos goûts, nos opinions, nos regards.

J'aimerais y retourner. Seule ou avec lui ; qu'importe ? Besoin de constater, de considérer cette étape cruciale dans le développement de notre relation, de nos impressions. Besoin de me réimprégner, de re-solidifier mes bases et celles de cette drôle d'histoire qui s'étire peut-être trop longtemps. Plus longtemps qu'elle n'aurait dû, certainement.

Et je me questionne sérieusement quant à l'avenir de tout ça : approfondir ce qu'on vivait avant mais stagner dans toute cette amitié inavouée aux désirs vagues, intermittents ; ou prendre le risque d'aller plus loin, là où c'est impossible, là où tout peut se casser, se briser pour un seul contact charnel.

Les 3 mois initiaux de nos rapports s'étirent, s'allongent, et j'aimerais peut-être savoir si les choses vont finir par changer ; sinon, pourquoi continuer ?

Parce qu'il me semble que la fébrilité de nos rencontres ne peut toujours rester ainsi entre lui et moi ; je pense que, un jour ou l'autre, elle devra s'affirmer. S'afficher, se déclarer et exploser. Bouches colmatées par erreur, et mains qui se cherchent sous des vêtements qui s'effeuillent.

Ou nous allons devoir nous quitter. Ne plus jamais se revoir. S'oublier.

Impasse de merde.

vendredi 17 septembre 2010

Doux-amer.

Savoir qu'on mérite mieux, et s'y relancer avec fougue chaque fois ; toujours, l'implacable solitude du retour à la maison. La crème aux mûres sur les mains, les chants d'opéra pleins la tête, ses yeux gorgés de petites veinules comme s'il était trop fatigué ou malade. Et moi qui marche sous la pluie dans des souliers mouillés en espérant peut-être, qu'un jour, il me ramènera.

Je voudrais tout arrêter. Oublier ses incursions dans mes conversations insipides. Ses regards velcros qui ont peine à se détacher des miens dans une discussion quelconque. Tout oublier, lui et sa petite classe de jeune homme qui a vieilli trop vite, lui et sa voix étrange, lui et sa culture à laquelle il m'arrive de m'abreuver quand on réussit à parler pour vrai.

Crever les bulles d'un doigt pointu, et courir pleurer dans les bras d'une mère d'occasion qui va à l'opéra la même journée que moi. Me retirer pour de bon de sa vie et le laisser scléroser dans le confort facile et les jeux d'enfants. Fuir, et qu'il m'oublie pour ne repenser à moi qu'épisodiquement, pour rien, au fond, parce que j'ai peut-être fait une différence en lui. Laissé une rose au creux de son être ; peut-être poussera-t-elle un jour ?

Mais je reviens. Écrase les cigarettes amères que je fume quand il disparaît, et courbe l'échine. L'oeil qui cherche le sien à défaut de sa main. Politesse gênée, guindée. Impuissance et envie de se caler sous terre, d'y creuser ma tombe en attendant qu'il me délivre du fardeau de l'assassinat de ma jeunesse.

Je me relance dans cette drôle d'histoire dont je n'avais conservé que les bonheurs, les joies de sourires en coin et de bulles perlées. Maintenant, ce sont les douleurs de la solitude et de l'impossibilité dont je me souviens, l'estomac tordu d'impuissance et moi qui fais les cent pas dans mon salon pour arrêter de penser à lui. « On oublie tant de jours de tristesse, mais jamais un matin de tendresse » chante Jean Gabin, et il a peut-être raison.

La jeune fille de secondaire 5 qui tremble parce qu'elle avait peur de ne plus voir son premier amour n'est peut-être pas si morte que ça, malgré que les choses et le contexte aient profondément changé, que l'homme ne soit plus le même et que la réciprocité s'ébauche parfois, en rires et en oeillades. 

J'ai envie d'envoyer tout balader, lui, les canons de Pachelbel et les envies de passer ma main dans ses cheveux, de m'agripper à son dos presque jusqu'à y enfoncer mes ongles, de me griser de la sensation de sa peau contre mes doigts. Envie de le mordre, de l'avaler, de l'expulser, pour ne plus jamais qu'il s'ancre dans mes pensées et mes tristesses. Taire la musique et les cris de nos corps inassouvis l'un de l'autre. Pendre les souvenirs dans une armoire et ne plus jamais s'y référer. 

L'automne de nostalgie, de mort, l'automne, saison romantique par excellence qui a toujours été ma préférée, est doux-amer, cette année. Se couvre de pluie, de froid et des regards de B qui ne me réchauffent jamais. 

Que peut une jolie écharpe de soie toute fragile contre une pluie diluvienne d'octobre, de novembre ? 

Je voudrais en parler, parfois, si ce n'était que du beau regard désapprobateur que la personne à qui je dirais tout me lancerait. Beau regard un peu hautain qui a effrayé mon amie quand j'ai croisé cette grande dame hier, contre toute attente, contre toute pensée. 

Belle et hautaine, un peu froide : je pense que cette femme a trop d'influence sur moi. Je l'aime tellement, plus que lui même, mais son bonheur visible à me voir et me parler arrive à peine à compenser l'impuissance solitaire de mon amour brisé qui revient à la maison sous une pluie froide alors que B dort déjà avec l'autre femme. 

Je voudrais mettre ma vie en arrêt. Geler l'image et reprendre mon souffle, jauger mes chances, les avantages possibles. Analyser les tableaux qui s'offrent à moi et en tirer le meilleur parti. Mettre ma vie sur stop, et reprendre mon souffle. Souffle dans la brume automnal, et exhaler mes sentiments impartis, impuissants dans l'air piquant et regaillardissant de l'automne.

Air doux-amer de l'automne aux amours vains. 

dimanche 12 septembre 2010

Tentative d'écriture automatique

Inspiré de Paul-Marie Lapointe.

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Je voudrais que nous mourions comme le jour, mais nous sommes des fragments d'embryons éternels. Stériles immortels dans un formol turquoise de ciel cassé. Embryons desséchés comme ceux de Satie, sourires de piano noir et blanc, las de trop se figer de trop s'éparpiller.

Je voudrais que nous mourions comme le jour et le vert déclinant de tes murs déglingués. Croquis d'enfants et cris apprivoisés dans l'écho de mon sommeil fuyant. Insomnie attente flegme désir. Nous sommes à peine des ombres terriennes et j'esquisse la conquête de la chair, la reddition de l'éphémère. Nous sommes un souffle hésitant de nuées lactescentes. Un rire guillotiné par la fenêtre d'où s'est enfui un rai blafard, fugitif comme les oiseaux blancs du mariage et de la chasteté. Le divan où je me perds, fleurs abstraites de grimoires craquelés, odeur de vieux piano moisi et d'écume de mûres sauvages.

Je voudrais que nous mourions comme le jour, et les pêches trop mûres qui se désagrègent contre ma langue rêche. Langue qui se sèvre, qui craque, langue asséchée vidée de son sens. Langues muselées, fusionnées. Langues rapidement souillées contre les mots d'apparat, les soliloques guindés d'ombre bleue. Et la bouche rouge d'être trop grugée, molle de trop s'éclipser.

Je voudrais que nous mourions comme le jour, parce que le soleil est noir et moi aussi. Je suis le noir diaphane qui se résorbe aux couleurs et aux forêts. Quartz rose baroque, indécence estivale de décembre. Chopin chimique sur mon giron, corpuscules de sourires sur mon crayon ma nuque. Je construis des idées avec du papier, des cailloux, des rubans de rivières roses et froides comme les joues pâles de cette mère d'occasion, celle que je rencontre la nuit et à qui je parle d'écriture, de littérature lis-tes-ratures.

Je voudrais que nous mourions comme le jour, et j'ai les os qui craquent, le corps disloqué le cou brisé. Les cheveux épars de larmes et de chair. Sang brut sur mes mains bleues, sang noirci du péché des fées et des larmes taries pour un regard musical perclus sous terre. Sommes-nous morts, mon amour, car je sais qu'on nous a enterrés vivants, cellule friable et immuable qui sème le désordre. Ta présence dans la terre sans bruit dans l'humus sacré des océans d'acier dans les bas-fonds spectraux des arias de Bach.

Mais toujours, j'aimerais que nous mourions comme le jour.

Fragments de pensée déglinguée

C'est ennuyant, parfois, cette certitude d'être née trop tard. Mauvaise décennie. Mauvaise génération. Mauvais siècle, même. Caractère vieillot et robes noires de trentenaire classique. Audrey Hepburn et Coco Chanel atterries en 2010 et s'éplorant des ravages modernes.

Je ne me sens pas à ma place dans un vingt-et-unième siècle ringard, atrocement technologique. Ces classes de jeunes qui ne se parlent plus, qui s'envoient des SMS pour dire qu'ils s'emmerdent dans leur cours de littérature. Ces pseudo-chicanes sur BlackBerry Messenger. Bip Bip Bip pour dire Tu m'énerves. On se connaît plus sur Facebook que dans la vie. On étale qui nous sommes sur Internet, et on se dit à peine bonjour si on se croise dans la rue.

J'aime m'imaginer être née 30 ans, 100 ans plus tôt. Inventer la vie que j'aurais, les détails insignifiants qui m'auraient excédée, les hommes qui m'auraient séduites et les femmes que j'aurais admirées. Les livres que j'aurais lus et la musique que j'aurais aimée.

Et je suis certaine que ça n'aurait pas tellement changé.

Parfois, je rencontre des gens et sais pertinemment qu'ils seraient mes amis si nous étions de la même génération, et non de simples connaissances polies, professionnelles, dialogiques.

Que les discussions littéraires pourraient se poursuivre en un "café existentialiste" comme les hipsters dont Cath me dit prendre part pour ce qui est de ma mentalité.

Parce que je ne porte pas de grosses lunettes. J'ai des verres de contact dont la force n'est plus la bonne, et qui me pousse à m'asseoir près du tableau pour y lire ce que mes profs écrivent.

Avantageux en Formation à la vie culturelle, par contre !

Les gens ont généralement une idée trop restreinte de l'amitié, de l'amour ; alors ils blâment ces liens vains et qui m'importent le plus sur la mauvaise relation, la mauvaise opinion que j'ai de mes parents.

C'est facile : c'est parce que tu n'as pas une bonne relation avec ta mère. Freud disait du bon, mais on en a tiré beaucoup de n'importe quoi.

 Je travaille trop, et je n'aime plus vraiment mon emploi. J'y fais mes travaux à moitié et tronque mon sommeil, ma vie sociale. Et je m'aperçois qu'il devient de plus en plus difficile de gérer nos amis quand on en expansionne le nombre avec les années qui passent.

Alors je vais devoir mieux classifier mes catégories amicales : les vrais, les amis qui le méritent, les amis d'école.

Question de mieux planifier mon horaire de "cafés existentialistes" !

Je médite sur l'apprivoisement du renard dans Le Petit Prince, parce que je découvre que les gens ne sont pas tous comme moi, que certaines personnes ne se donnent pas spontanément et qu'il faut instaurer un climat de confiance pour recevoir quelques bribes de leur affection, de leur estime, de leurs confessions. Et je suis patiente depuis deux ans, et je vois que cette patience d'ange commence à porter fruit.

"Merci d'être passée me voir !", répété et ironique - car je sais que c'est toujours moi qui propose, qui ose, qui revient à la charge en me pointant, un bon matin à chaque deux ou trois semaines, dans ce petit espace perclus qui sent bon l'encens et le parfum raffiné.

Et je pense que je suis de mieux en mieux capable de gérer ma vie, mes émotions, et que la confiance en moi, si longuement piétinée dans un coin poussiéreux de mon être, se remet tranquillement de ses blessures.

Et, pour une fois, ce n'est pas à cause de l'anastomose de deux regards contents de pouvoir se contempler à nouveau dans un local perdu d'un Casault moisi.

Mais, peut-être, de la maturité longtemps attendue et enfin trouvée !

dimanche 5 septembre 2010

Déprime post-proust

J'ai fini Proust. Le rideau tombe, les personnages s'estompent, se dérobent et deviennent inaccessibles à mes yeux, à mon imagination avides de m'incorporer à la Recherche. J'ai fini Proust, et j'ai soudainement le coeur gros, une drôle d'envie de pleurer.

J'ai fini Proust, et un deuil profond me vrille l'âme, me cloue sur place ; deuil précoce qui m'empêche d'ouvrir mes livres d'école, mes livres de chevet.

Parce que Proust et ses créations, ses créatures n'y seront plus.

Parce que, après 4 mois passés à lire Proust, à voir la vie avec un filtre proustien, à ne penser pour ainsi dire qu'à Proust, refermer le tome 7 me semble irréel. M'est cruel.

Gouffre temporel, a-rationnel où je dois me réapproprier moi-même, ramasser les miettes de moi que j'avais laissé tomber en parcourant les pages de Proust tandis que je subissais l'été interminable ; mon esprit déglingué qui vivait la Belle-Époque au rythme de la plume impressionniste, impressionnante de Proust redescend tranquillement sur Terre et s'érafle la figure en chutant contre la médiocrité moderne.

Parce que La Recherche a changé ma vie, et la conception que j'avais du monde, de l'acte d'écriture, de l'art, du Vrai. Je pense.

Ça fait drôle de passer à autre chose. D'avoir passé au travers la Recherche. De quitter Marcel, Albertine, les Guermantes, Gilberte, Charlus, Saint-Loup et, mes chouchous, les Verdurin. De replonger dans une modernité réelle et plutôt décevante.

Je travaille trop et je suis nostalgique de choses que je possède encore ; des gens qui ne m'ont pas encore quittée, que je viens à peine de revoir. Je crains leur fuite que je sais imminente, plus ou moins lointaine. Comme celle de Proust entre mes doigts qui tournaient les pages un peu froissées d'avoir été trimballées partout.

J'ai rangé Le Temps retrouvé à la suite des six premiers tomes dans ma bibliothèque, en me promettant d'y revenir un jour. Le plus bientôt possible.

Avoir si hâte de lire autre chose pendant la lecture, et, maintenant qu'elle est terminée, en être tout bonnement incapable.

Drôle d'esprit qu'est le mien, quand même...

Mais la discussion que j'aurai mercredi, probablement, guérira mon esprit disloqué par la fin de Proust.